Les salariés licenciés de Milee manifestent devant Bercy : « C’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans ! »
L’entreprise de distribution de prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres, qui comptait 10 000 salariés répartis sur tout le territoire, a été mise en liquidation par le tribunal de commerce de Marseille le 9 septembre.
Par Aline Leclerc
Publié aujourd'hui à 09h17,
Sa détresse, un salarié de Milee la résume en cette formule : « On a l’impression d’être des invisibles, un quart-monde. » L’entreprise de distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres est en liquidation depuis le 9 septembre. « Y a 10 100 personnes sur le carreau, c’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans dans ce pays, comment ça se fait que ça ne fasse pas l’ouverture de tous les JT de France ? », s’indigne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT. D’autant qu’une partie des salariés n’ont même pas perçu leurs derniers salaires. « Certains se retrouvent sans aucun revenu. Et nous ne savons pas quand ils seront payés ! », insiste l’élu.
Pour tenter d’attirer l’attention, plusieurs dizaines d’entre eux, venus de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Rouen (Seine-Maritime), Niort (Deux-Sèvres) ou Brive-la-Gaillarde (Corrèze) s’étaient donné rendez-vous devant le ministère de l’économie et des finances, à Paris, mardi 8 octobre. « Les autres n’ont déjà pas de quoi acheter à bouffer, alors encore moins de quoi payer un billet pour Paris », commente au micro Jean-Paul Dessaux, secrétaire fédéral SUD-PTT.
Marie-Ange Goyard, 37 ans, deux enfants, distributrice au dépôt de Roanne (Loire), prend la parole après lui : « Vous savez ce qu’il va faire mon homme cet après-midi, comme tous les mardis ? Il va aller aux Restos du cœur ! J’en ai fait des heures pour Milee… On nous payait toujours des temps approximatifs. Et avec ma bagnole personnelle, malgré la hausse de l’essence… Marie-Ange c’est pas une vache à lait, ce que je voulais c’est travailler dignement ! » Elle éclate en sanglots.
Aucune allocation chômage
La plupart des distributeurs travaillaient à temps partiel, au smic horaire. Parmi eux beaucoup de personnes fragiles, mères célibataires, travailleurs multipliant les petits boulots ou retraités complétant de maigres pensions. Pour ces derniers, il n’est prévu aucune allocation chômage : « Je vais devoir me débrouiller avec les heures de ménage que je fais encore… », explique Nicole Fromage, 74 ans. Environ 1 700 salariés ont plus de 70 ans selon Sud-PTT qui demande, pour eux, la mise en place d’une aide exceptionnelle.
« Il y a une hypocrisie énorme des responsables politiques et patronaux qui connaissaient la situation, mais comme les salariés sont très précaires et disséminés sur tout le territoire, ils se sont dit “On est tranquille, personne ne va réagir” », s’est indignée devant les salariés la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.
Quoique précipitée, la faillite de Milee (ex-Adrexo) ne fut en effet une surprise pour personne. L’entreprise accumulait déjà les pertes lorsqu’elle a été reprise en 2017 par un trio d’actionnaires, Frédéric Pons, Eric Paumier et Guillaume Salabert. Comme sa holding Hopps Group, elle s’est depuis enfoncée dans les dettes, sollicitant régulièrement l’aide du comité interministériel de restructuration industrielle, chargé d’assister les entreprises en difficulté.
Quand, en 2021, l’Etat lui confie une partie de la distribution de la propagande électorale des départementales et régionales, l’opération tourne au fiasco. La même année, la loi Climat et résilience met en place l’expérimentation « Oui Pub » qui vise à limiter la distribution de publicités aux boîtes aux lettres des habitants ayant exprimé leur consentement par un autocollant. « Il est où le Commissariat au plan ? Il y a eu une absence totale de planification des conséquences sociales de cette mesure de transition écologique », a déploré devant les salariés la députée Aurélie Trouvé (NFP-LFI).
Des années de mauvaise gestion
En juillet, Hopps Group incriminait l’effondrement d’« environ 50 % en cinq ans » du marché de la distribution d’imprimés publicitaires. La Poste a d’ailleurs dû en avril reclasser les salariés de sa filiale Mediaposte. Mais les salariés, eux, dénoncent des années de mauvaise gestion. Et les experts-comptables mandatés par le comité social et économique ont mis en évidence de curieuses remontées de dividendes et des liens opaques entre Milee et les différentes entités de la holding. Que sont devenus les 580 millions d’euros de la vente, en 2022, de la filiale Colis Privé ?
La Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication CGT a ainsi annoncé mardi son intention de porter plainte. « Qu’ils soient traînés en justice ! », a plaidé le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel. « Il faut que Bercy demande des comptes sur ce scandale financier que nous pressentons », a renchéri Sophie Binet.
Mais l’urgence est ailleurs. « On va activer la justice, mais la justice c’est long. Les salariés c’est maintenant qu’ils ont besoin d’argent », insiste Alexandra Dupuy, avocate de la CGT, déplorant que seuls deux cabinets de mandataires judiciaires aient été chargés du traitement des 10 000 dossiers.
Or, c’est à eux qu’il advient de transmettre les pièces nécessaires à l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) pour le versement des impayés. En plus du grand nombre de licenciés, leur « système de paie qui implique et entremêle plusieurs sociétés du groupe et des prestataires complexifie le travail du mandataire judiciaire », souligne Antonin Blanckaert, directeur général de l’AGS qui assure qu’un « dispositif exceptionnel » a bien été mis en place pour, dès réception des pièces, débloquer les fonds en vingt-quatre heures.
Une délégation a été reçue mardi 8 octobre, à midi, au ministère de l’industrie. Interpellé ensuite lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, le ministre Marc Ferracci s’est engagé à faire en sorte que les salaires dus soient payés rapidement, tout en mobilisant les services de l’Etat pour aider ces salariés peu qualifiés à retrouver du travail.